Friday, December 29, 2006

Europe-Afrique : nouvelle menace libre-échangiste


UE-ACP . La renégociation des accords qui permettaient à certains pays du Sud d’avoir un accès détaxé au marché de l’Union européenne suscite inquiétudes et résistances.

Dans l’indifférence générale, l’Union européenne s’apprête à modifier sa politique de coopération avec l’Afrique et plus généralement avec plus de 70 pays du Sud qui forment le groupe Afrique-Caraïbe-Pacifique (ACP). En cours de négociations, les nouveaux accords de partenariat économique (APE), sensés être finalisés d’ici à la fin 2007, risquent de priver les pays du Sud d’un des rares mécanismes destinés à aider leur développement.

lES AIDES

AU développement négligées

Jusque-là, les relations commerciales entre l’UE et les ACP étaient régies par les conventions de Lomé. Signées dans les années 1970, celles-ci réduisaient le montant des taxes payées par les pays ACP pour commercialiser leurs produits dans l’UE, sans exiger d’eux des contreparties. En offrant ainsi un débouché dans des conditions préférentielles, les pays européens disaient vouloir aider les pays concernés à développer leurs productions. Mais, depuis la fin des années 1990, l’UE cherche à modifier cette approche, la reconnaissance d’un « différentiel de niveau de développement » entre le bloc des pays ACP et les pays européens étant contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

En 2000, l’UE a ainsi signé avec les ACP l’accord de Cotonou. Bien qu’en principe destiné à lutter contre la pauvreté, cet accord, qui remplace la convention de Lomé, fait en réalité primer les normes commerciales sur les impératifs de développement. Il précise notamment que les APE devront être basés sur le principe de réciprocité. En clair, pour continuer à bénéficier d’exemption de taxes sur le marché européen, les ACP devront à leur tour ouvrir sans restriction 80 % de leur marché aux exportations européennes.

« Il faut invalider une posture rigide qui ferait du - démantèlement tarifaire une condition du développement », a estimé Vanessa Alby Flores, de l’Institut de recherche et d’application des méthodes de développement (IRAM), lors d’un colloque sur les APE organisé mercredi à l’Assemblée nationale par l’association Coordination Sud et le député communiste Jean-Claude Lefort. Comme l’ont souligné la plupart des participants, l’observation des conséquences des politiques mises en place depuis une dizaine d’années par l’OMC tend à invalider le postulat qui sert de base aux APE et à tous les accords commerciaux.

Loin d’entraîner automatiquement le développement, la libéralisation des échanges, via la réduction des taxes, a contribué à fragiliser plus encore les économies des pays pauvres. L’exemple du poulet en Afrique de l’Ouest et celui du lait montrent les difficultés des filières locales naissantes et fragiles à faire face aux importations de produits européens, d’autant plus compétitifs qu’ils sont largement subventionnés. La question est particulièrement sensible dans le secteur agricole, dont 70 % des Africains continuent de dépendre pour leur survie.

Coordination Sud, un regroupement d’ONG, suggère donc d’adopter, au moins dans un premier temps, des mesures permettant de protéger les marchés intérieurs, notamment dans le secteur agricole. L’organisation souligne que si, comme le prétend l’UE, la baisse de ses tarifs douaniers doit servir à accroître la part de marché et donc le revenu des pays ACP, il faut leur permettre d’abord de développer leur capacité de production. Un objectif inaccessible sans protection préalable des marchés intérieurs. « On dit que la croissance des échanges va bénéficier aux consommateurs, a résumé Valérie Traoré, de l’organisation kenyane Acord, mais en Afrique, où la majorité de la population vit de l’agriculture, le consommateur est aussi le producteur. Si on veut qu’il consomme, il faut bien lui assurer un revenu. »

Comment dans ces conditions infléchir le cours de - négociations UE-ACP par ailleurs marquées par une extrême inégalité de moyens et de compétences techniques entre les deux blocs ? Dans le contexte actuel de campagne électorale, Coordination Sud a posé cette question aux partis politiques français. Les représentants du PS et de l’UDF, présents au colloque, n’ont pas remis en question l’orientation libre-échangiste actuellement donnée aux futurs APE. Le PCF et les Verts appellent au contraire à une refonte radicale des logiques de partenariat entre l’UE et le Sud. Fabienne Poure (PCF) demande « un plan Marshall pour l’Afrique », et Patrick Farbiaz, pour les Verts, suggère qu’à l’OMC les règles sociales et environnementales priment sur celles du commerce. En attendant, Jean-Claude Lefort (PCF), à l’initiative de la rencontre, rappelle la nécessité de « créer le rapport de force qui transforme les APE en élément positif ». Pour cela, il demande que la date butoir de fin 2007 pour la signature finale de ces APE soit repoussée. De quoi laisser aux sociétés du Sud comme du Nord le temps de se saisir du débat et de faire pression sur les acteurs de la négociation.